Iran |
des larmes Alors que sa tete disparait derriere le pare-brise du taxi qui la ramene vers la France via le bus et l'avion, les larmes me montent doucement aux yeux. Des larmes devant la fin d'une aventure a trois, 3 semaines a pedaler ensemble. Notre petite Gwenael s'en va, et avec elle un brin de familiarite et un bout d'amitie renforcee. Mais ces larmes qui montent doucement aux yeux alors que nous nous remettons en route, direction Tabriz, soudainement deviennent monstrueuses... Et alors que j'evite les multiples obstacles de la sortie de Hamedan, je ne peux arreter ces larmes de crocodile de couler... Que se passe-t-il donc? Mes larmes sont elles encore rationnelles, mesurees? Et alors, avec une clarte etonnante, je comprends. Je comprends que ces larmes sont beaucoup plus que le resultat d'un depart. Elles sont le resultat de semaines passees au Pakistan d'abord, puis en Iran, pendant lesquelles il a fallu etre temoin, il a fallu calmer les tempetes, il a fallu accepter, et il a fallu enfin se taire et sourire. Ce sont des larmes de rage contre ces hommes. Des larmes de tristesse pour ces femmes. Des larmes d'agacement pour ces jeunes. Des larmes de joie pour les multiples accueils. Des larmes d'incomprehension devant ce pays d'extremes. Des larmes d'espoir qui n'y croient pas forcement devant des reves bafoues ou un monde si betement dur parfois. Des larmes de nos coeurs et de nos corps qui ont tellement recu, de l'accueil formidable aux harangues policieres, sans pouvoir donner completement, ou assez. Tous ces moments ou il a fallu se plier aux regles de l'Etat iranien, sans broncher, et meme plutot avec le sourire pour simplifier les choses, toutes ces fois ou l'on a du faire face au drame de la jeune generation iranienne, au chomage et manquant de reperes, tous ces jours ou nous avons porte et vu porter le voile... Ils se sont accumules pour exploser en un torrent de larmes qui ne cessent de couler. Que nous l'avons aime ce pays aux milles couleurs et a l'accueil phenomenal. Ce sont les generations des 40, 50, 60 ans qui nous donnent des lecons d'ouverture et de chaleur. Nous n'en finissons plus de recevoir fruits, nourriture, the et meme tapis persan! Nous discutons de longs moments autour du globe, d'ou nous venons, ou nous allons, et de ce qu'il y a au-dela des frontieres iraniennes. Ils ont soif d'en savoir plus, et encore plus. Ce professeur d'anglais reconverti en professeur d'arabe au moment de la revolution islamique (pas le choix) nous parle de ce qu'il sait de la Nouvelle-Zelande. Ce couple de Tabriz qui nous emmene en ville dans leur voiture nous parlent de l'Australie. Ce professeur d'anglais nous parle de l'importance qu'elle donne a l'ouverture sur le monde et c'est precisement cela qu'elle essaie de transmettre a ses eleves... Ils sont nombreux a nous engager dans des conversations, a creer des liens, a offrir, a etre heureux de nous rencontrer. Jamais nous ne ferons face a l'indifference en Iran. Nous suscitons des reactions... aux 2 extremes. Parce-qu'en face de ces accueils si forts et si chaleureux, se dresse une autre realite. Dont nous sommes au mieux temoins, a laquelle nous nous confrontons le plus souvent. Ces flics roulant en mercedes toutes neuves qui ne sortent pas de leur voiture pour nous addresser la parole, qui nous interpellent a quelques metres dans leur interphone, qui representent tellement l'arrogance, la rigidite et la pesanteur de cet Etat qui tente de tout controler. Nous sommes a mille lieux des policiers pakistanais qui s'etaient relayes sur 500km pour nous escorter dans le Balouchistan, nous offrant peches, tasses de the, biscuits et pasteques, et alternant chants et questions. Ces flics qui plus d'une fois reprimandent les iraniens qui viennent nous voir et nous parler. Nous apprendrons plus tard qu'il faut un permis en Iran pour pouvoir parler aux touristes (meme si ca n'a pas l'air de vraiment les arreter...). Ces jeunes - nes dans les premieres annees de la revolution islamique (1979) - dont 1/3 est au chomage, et qui n'ont rien d'autre a faire que tourner sur leurs mobilettes toute la journee, toute l'annee (a 1 euro les 60 litres de diesel, etre au chomage n'est pas un obstacle a la consommation de fuel!). Cette generation qui semble avoir perdu ses reperes. Un soir, ils me bloqueront gratuitement la route, sans motif apparent. Parce-qu'ils peuvent. Parce-que je suis une femme et que c'est donc possible d'affirmer son autorite quand bon nous semble. Mais quand, apres avoir demande gentiment 2 ou 3 fois de me laisser le passage, je laisse monter ma colere et mon silence de ces semaines passees en territoire hostile a la femme; quand je force le passage, alors je cree un scandale. Alors que nous quittons la ville, Gwenael, Mike et moi, ce sont une petite dizaine de mobilettes qui nous tournent autour. Qui nous petaradent autour. Montees par des jeunes, hommes, qui nous insultent. Je n'ai jamais eu le sang qui a bouilli aussi fort dans mes veines que ce jour la. Pour la premiere fois, je me rends compte de ce que c'est que d'etre insultee pour ce que l'on est - en l'occurence une femme - plutot que pour ce que l'on pense ou la facon dont on agit. Etre une femme, ni plus ni moins, suffit a etre traite comme moins que rien. Les insultes fusent, une moto se rapproche un peu trop de moi, essaie de me toucher, je declipe mes pedales et donne un coup de pied dans la cuisse du passager. Surprise et rage. Tant d'agressivite versee envers une femme qui ne plie pas. Derriere, Gwenael se bat elle aussi, ainsi que Mike dont la colere est montee a un niveau record. A 2 reprises, des familles iraniennes tentent de nous aider, en demandant aux jeunes d'arreter. A notre surprise, ils n'ecoutent pas! Dans un pays ou le respect des generations et la sagesse des generations plus agees sont (etaient?) une valeur centrale, ces jeunes n'ecoutent pas les leurs! Nous menacons avec des pierres, nous les supplions d'arreter, nous essayons de parlementer. Rien a faire. Apres 2 bonnes heures, nous profiterons de 3 minutes seuls pour nous refugier derriere une petite colline. Images chaotiques de nous 3 poussans nos velos dans le fosse pour s'y planquer vite fait. Images haletantes lorsqu'accroupis, nous laissons la colere fulminer. Colere, incomprehension, emotions a fleur de peau. Nous entenderons ensuite les moteurs tourner pendant bien longtemps... Et il nous faudra bien du temps a tous les 3 pour finalement retrouver le calme. Incident anecdotique? Pas si sur. Lorsque nous en parlons avec certaines familles que nous rencontrons, ils ne sont pas etonnes et nous confirment que c'est un probleme majeur pour l'Iran aujourd'hui, cette jeune generation qui a grandit au coeur de la revolution islamiste, et sans travail aujourd'hui. A notre retour en France, je lirai meme avec etonnement un article a ce sujet dans un journal londonien. A la sortie de Hamedan, il y a le long de la route d'enormes citrouilles qui semblent nous sourire. J'ai dans la tete encore l'image tres nette de cet orange si vif, et de ma surprise a la vue de ces grosses dames entreposees la pour etre vendues. L'incongruite de leur presence, et leur cote clownesque me redonnent le sourire. Mes larmes sechent au soleil de l'Iran, et laissent en moi un sentiment paisible et vide. Il nous faudra prendre du recul, connaitre mieux, connaitre plus, apprendre encore et chercher toujours. Alors peut-etre commencerons-nous a comprendre un peu mieux cet univers iranien, si entier, aussi categorique dans ses effets qu'un aimant, funanbule entre les extremes... |
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