Cambodge |
du sang, de la chique et du molard! (22-26 fevrier 05) 5 jours. il nous aura fallu 5 jours pour traverser le nord ouest du cambodge. 5 jours de jungle, de rochers, de sable. 5 jours de kilometres au ralenti, ou nos bras et epaules travaillent presque plus que nos jambes. 5 jours de desorientation complete a plusieurs moments, quand les routes partent dans tous les sens, ou bien tout simplement s'arretent. 5 jours formidables (maintenant qu'on en est sorti!), a la difficulte immense il nous semble (probablement ce qu'on ai fait de plus dur), dont nous sortirons victorieux grace a la combinaison de 3 cartes, un guide, une boussole, un GPS, le soleil, et - extremement important - la presence d'habitants, ici et la... La route tout d'abord. Nous quittons Kampong Thom le 22 fevrier au matin et nous dirigeons vers le nord pour les temples Sambor Prey Kuk de l'epoque pre-angkorienne (des temples de quelques 1400 ans). Jusque la, tout va bien, la route est non goudronnee - mais rien de surprenant, nous sommes au Cambodge. Nous prenons le temps d'admirer ces temples, avant de repartir. Il ne nous faut que quelques kilometres pour rencontrer notre premiere difficulte: 4.5 kilometres de sable. Nous n'avons pas le choix, il nous faut pousser. Notre progres est si lent. La chaleur nous assomme. Le monde autour de nous s'est comme arrete: ou sont tous ces enfants qui habituellement a notre passage accourt vers nous avec grands sourires et aux sons de "hello", "OK" ou "bye-bye"? Ou est le bruit si familier des moteurs? Le son des marches ou des temples? Au lieu de cela, nous n'avons que le soleil qui tape, quelques habitants qui nous regardent avec des visages sans expression, et de temps a autres, un poulet qui s'enfuit a la recherche d'ombre dans quelques rares broussailles, ou un chien au loin qui hurle... Et deja pointe son nez ce qui sera le plus difficile dans ces 5 jours epiques: l'incertitude. Combien de kilometres de sable devant nous? Qu'est-ce qui nous attend? Serait-il plus sage de faire demi-tour maintenant? Non, nous ne faisons pas demi-tour. Et au bout de ce troncon de sable, la vie - et tous ses sons - reprend. On a fini par s'habituer a tous ces bruits ambiants et quelque part, ils nous rassurent: les enfants qui nous saluent, les moines qui prient, les karaokes, les marches, les moteurs, les poulets qui chantent et les chiens qui aboient... Alors nous continuons vers le nord, et jusqu'a Rovieng, sans encombres. La route est une piste, avec son lot de trous et de sable, mais la plupart du temps, on pedale. Une journee a 77km, une autre a 90km - nous traversons des villages ou tres peu de touristes doivent passer, nous sommes seuls - nous decouvrons un Cambodge loin des sentiers battus... "Nous serons a destination (Stung Treng) demain soir si l'on continue a ce rythme" annonce Mike alors que nous plantons la tente... Pas tout a fait. Nous allions decouvrir ce que manque d'infrastructure veut dire dans l'une des provinces les plus pauvres du Cambodge. Ce 24 fevrier a la premiere heure, nous prenons le cap plein est vers Spung (qui doit nous mener a Stung Treng). Les 10 premiers km sont potables, puis la route se degrade rapidement. Jusqu'au moment ou le pont autrefois permettait de traverser la riviere (assechee) n'existe plus - il n'en reste plus que deux gros rondins. Mais on a deja vu ca sur notre route - la plupart des ponts au Cambodge sont soit detruits, soit des ponts temporaires de l'armee et ils semblent trouver un moyen ou un autre de passer. Alors nous continuons. Mais la route s'empire, et se divise, ici et la. Nous essayons a chaque croisement de garder le bon cap, aide de nos cartes, boussoles et GPS. Mais comment etre surs, alors que les pistes sont detruites chaque annee au moment de la mousson, et que l'annee suivante, la circulation passe la ou c'est le plus simple, ou le moins ensable, ou le plus "possible"? On avance et on rebrousse chemin, revenant au croisement et essayant d'autres alternatives. Et puis ca y est, a nouveau, nous sommes sur la bonne route, c'est dur, mais ce soir, on devrait etre sortis. Alors continuons! On pousse dans le sable, et on porte quand les troncs d'arbres barrent la route. On se bat contre les grosses fourmis rouges qui nous piquent et contre ces plantes a epines que l'on semble attirer. On avance bien lentement, mais on avance. Jusqu'au moment ou, devant nos yeux, cerveaux, corps et velos qui ne veulent pas y croire, la route s'arrete. Net. Elle a ete reprise par la jungle, par manque d'entretien tres probablement. Nous ne voulons explorer de trop a droite ou a gauche alors que nous connaissons si peu de cette jungle et que le Cambodge souffre encore aujourd'hui des mines installees partout le long des routes par les 2 camps pendant la guerre civile. Il nous est impossible de passer. Tout ca pour rien. Il nous faut rebrousser chemin. Et notre ravitaillement d'eau a Spung s'est soudainement eloigne. Nous sommes presque a sec et notre thermometre frole les 50 degres. Dans nos tetes, nous revoyons tous les passages difficiles que nous venons de passer, ou nous avons pousse, porte, force - pour rien. Il nous faut maintenant les refaire. Faire demi-tour est tellement tellement dur. Tous ces efforts semblent soudainement amers et vains, alors que nous revenons sur nos pas. Nous ne prenons pas de decision sur la suite. Notre priorite est de revenir au dernier groupement de maisons qu'on a vu au pont casse sur la riviere, et de trouver de l'eau. Apres cela, nous reflechirons et aviserons. Retour a nos deux troncs qui traversent la riviere (assechee). Et recherche d'une ame humaine autour des 3 ou 4 petites maisons en bambou et paille qui trainent. Le soleil ecrasant fait fuir tout le monde. Et enfin, nous les trouvons. Ils sont 5, hommes et femmes, un plus jeune et 4 plus ages, accroupis sous l'une des maisons sur pilotis - a l'abri de ce soleil si intense. Ils sont si maigres, et ils fument leur habituel "tabac" local roule dans leurs "feuilles" non moins locales. Ils sont assis en cercle et laissent le temps au temps. Leurs levres et gencives sont rouges de macher du betel a longueur de journee. Leurs dents n'ont plus de couleur, ils n'en n'ont plus. Leurs traits sont marques, leurs visages magnifiques d'une certaine facon. Ils nous regardent l'air de ne pas comprendre d'ou l'on vient ou ce que l'on peut faire debout a marcher par telle chaleur. Mais leurs sourires sont ravageurs, et ils sont pour nous comme des sauveurs a cet instant. Ils nous pretent leur pot en plastique bleu, pour que nous puissions tirer un peu d'eau dans une flaque laissee dans le lit de la riviere assechee. Il ne nous restera ensuite plus qu'a la filtrer et a la purifier - et enfin, notre cerveau peut repartir de l'avant. Ou allons nous maintenant? Nous decidons de revenir a un autre embranchement 1km plus bas, qui devrait nous mener vers le nord sur 40km, avant de retrouver une autre route qui part vers l'est, elle aussi vers Stung Treng, notre destination finale. Mais nous sommes epuises, et les 3 ou 4 km que nous arrivons a faire vers le nord sont difficiles, jusqu'a qu'ils debouchent la encore sur du sable. Cette fois-ci, c'en est trop. Apres tous les revers de cette journee, du sable! Yvoine s'en va explorer a pied, voir si c'est juste un faux piege pour tester notre moral ou si c'est un vrai obstacle. Au bout de 600 ou 700m sans en voir la fin, elle fait demi-tour. C'est desesperant! Nous sommes creves - et l'idee de faire demi-tour jusqu'a la case depart est trop dure a supporter pour ce soir. Nous decidons donc de camper la, et quand nos tetes seront reposees et nos estomacs remplis, nous prendrons une decision - affronter le sable et l'incertain vers le nord, ou retourner a la case depart et prendre la route principale qui traverse le pays avec son lot de poussiere, de camions, de circulation... Alors que nous mangeons nos kilos de pates, un signe, si petit soit il, s'avance a petits pas le long de la piste: l'un des couples que nous avons rencontres l'apres-midi meme et qui nous ont montres ou trouver de l'eau passent devant notre campement et s'arretent quelques temps. Ils vont vers Sre Veal, village a 5km au nord - peut etre le sable n'est il pas interminable et cette route va-t-elle quelque part? Ils sont suivis d'un camion 6*4, tous terrains, qui avance a 2 a l'heure, et qui ramene son equipe de travailleurs a Sre Veal (ils passent la journee dans la foret, probablement contribuant a un des problemes environnementaux critiques du Cambodge: la deforestation). Nous ne cessons d'hesiter - avancer ou demi-tour? La decision, nous la prendrons le lendemain matin, alors que le soleil n'est pas encore leve et que nous finissons notre cafe: en avant! Alors nous poussons dans le sable, et nous poussons encore dans les montees trop rocailleuses. Et nous tombons - enfin, surtout Yvoine qui a du mal parfois a controler un velo qui fait son poids sur un terrain si difficile. Nous pedalons de temps en temps. Nous avancons, reculons, explorons les divers embranchements qui ne sont pas sur nos cartes, nous faisons meme guider sur 2 km par un jeune Cambodgien. Mais nous passons comme prevu les 3 villages que nous devons passer sur notre route vers le nord. Et puis il semble que tout va s'arranger, que nos epreuves n'etaient pas pour rien puisque nous sommes plus qu'a 5km de l'embranchement avec notre route pour l'est, qui elle, nous le savons, est une route raisonnable puisqu'employe par les forestiers et autres bucherons (dixit les guides). Mais non, ca semblerait trop simple. La encore, la route s'arrete, reprise par la jungle. Nous ne pouvons pas passer. Si pret du but! Demi-tour, une fois de plus? Impossible! Tout ce sable, ces cotes, ces rochers, ces chutes du velo - tout ca a refaire a l'envers pour retourner a la case depart? La encore, nous retournons sur nos pas, jusqu'au dernieres petites maisons de bois et de paille que nous avions apercues quelques km auparavant. Et desesperement nous cherchons une alternative dans ce petit village tellement coupe du monde! A coups de signes des mains, de hochements de tete et de schemas par terre en utilisant des bouts de bois, nous recherchons une piste, un sentier, un chemin, pour nous eviter de faire demi-tour. Et finalement, apres maintes tergiversations, il semblerait qu'on puisse aller vers l'est puis revenir vers le nord. Nous ne sommes pas surs de s'etre tres bien compris - mais avons nous le choix? C'est ca, ou demi-tour. Il nous faut au moins essayer. Pendant que mike va encore une fois recuperer de l'eau dans la flaque d'eau locale, yvoine attend dans le village - observant une vie coupe de tout, ou l'on nait, mange, dort, vit et meurt au meme endroit, avec un entourage et un environnement relativement constant, des activites repetitives. Une vie si differente de la notre - nous ne sommes que de passage, demain sera une nouvelle experience. Qu'est ce que ca veut dire que notre monde marche la tete a l'envers, ou a l'endroit? Nos experiences precisement dans ce monde sont tellement differentes. Quel peut etre, quel va etre le langage commun? Nous repartons, charge d'eau, d'un peu de desespoir completement ecrase par l'optimisme que nous decidons plus ou moins inconsciemment d'adopter - celle solution doit marcher. Nous trouvons l'energie de pedaler et de pousser encore. Et finalement, nous trouvons la route que ces villageois nous avait indiquee. Et elle est si belle cette piste - on dirait qu'on peut pedaler dessus. Nous n'aurions jamais cru etre si heureux de trouver une piste! On donne trop de grade au goudron, vraiment. Petite joie, petite fete, nous decidons de camper. Le soleil est presque couche. Nous faisons un petit feu, et essayons de croire que demain apportera peut etre du positif. En attendant, nous savourons l'instant present - celui d'etre ensemble aupres d'un petit feu, sous la pleine lune, dans un environnement quelque peu magique. Lever a 4h30 le lendemain matin - nous n'avons presque plus besoin de montre, depuis 5 jours que nous nous reperons au soleil et a la lune. En avant! La piste qui nous paraissait si belle la veille, se degrade rapidement. Qu'importe - c'est le debut de la journee et rien ne peut nous abattre - un peu de sable, quelques trous - nous continuons de l'avant et enfin, sans vraiment y croire, nous y arrivons: nous sommes a l'embranchement avec cette route qui part pour l'est - la route des forestiers qui va de Chaeb a Stung Treng, celle que nous voulions! Alors allons-y, pedalons. Et pour le coup, nous pedalons plus que nous poussons, formidable! Nous ne cessons d'aller vers l'est, chaque km nous rapprochant de Stung Treng. Nous nous prenons meme a admirer le paysage, a prendre des photos... Il semblerait qu'on va s'en sortir. Quelques 20km avant l'arrivee sur le Mekong et Stung Treng (Stung Treng se trouve juste sur l'autre rive du Mekong, nous sommes senses trouver un bateau au bout de la route pour traverser le Mekong). On se demande ce qui peut nous arreter: 20km de sable, un velo qui casse, la jungle, une autre chute avec des blessures plus serieuses que des bleus ou des coupures, des bateaux qui ne traversent plus le Mekong?... Il doit y avoir quelque chose qui va nous arreter, nous ne voulons pas y croire. 4km avant la fin de la route: le sable! nous poussons sur3 km avec une energie renouvelee. Non, le sable ne nous arretera pas, pas maintenant. Ce jour-la, apres 100 et quelques km sur notre piste, nous arrivons finalement au Mekong. Et il y a bien un bateau pour Stung Treng! Alors que nous traversons et que le soleil se couche sur le magnifique Mekong, yvoine en a les larmes aux yeux (mike aussi, mais il ne les montre pas ;o). Nous y sommes: Stung Treng. Nous y sommes arrives. Sans retour a la case depart. Nous sommes si heureux. Et sales! Une bonne douche plus tard, nous celebrons notre petite aventure avec l'une de nos dernieres bieres cambodgiennes (Angkor). Et nous accordons une journee de repose. Cap pour le Laos, a 50km au nord! |
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